jeudi 11 décembre 2014

Immortel (ad vitam) - Enki Bilal

Ah donc, il semblerait que ce soit mon tour de prendre la plume sur ce blog encore à peine sorti de l’œuf. 

Titre : Immortel (ad vitam)
Réalisateur : Enki Bilal
Année de production : 2004
Acteurs principaux : Linda Hardy, Thomas Kretschmann, Charlotte Rampling
Durée : 102 mn

Synopsis : Dans un Paris totalitaire de 2095, un vaisseau extraterrestre en forme de pyramide égyptienne s'est posé. A son bord, des créatures ressemblant étrangement aux représentations que nous avons des dieux égyptiens antiques. L'un d'entre eux, Horus, a fui ses frères pour échapper à un emprisonnement plurimillénaire auquel il était condamné. Désespéré, il décide d'assurer sa pérennité de la même façon que les terriens : en ayant une descendance. Encore faut-il trouver la femme idéale pour cela, et surtout un corps où il puisse s'incarner pour échapper le plus longtemps possible à son frère Anubis. C'est alors qu'il croise la route de Nikopol, un anarchiste placé en détention cryogénique durant 30 ans et libéré par accident, ainsi qu'une mutante extraordinaire nommée Jill qui lui permettront de réaliser ses desseins.

Anubis

La première chose que l'on peut dire de cette œuvre est qu'il s'agit d'une adaptation de ce que l'on appelle la « trilogie Nikopol » d'Enki Bilal (comprenant « La foire aux immortels » paru en 1980, « La femme piège » en 1986 et « Froid Equateur » en 1993). Si l'histoire change sensiblement (l'univers est beaucoup plus détaillé, le passé et le développement de Nikopol ainsi que de Jill sont nettement plus prononcés), la trame de fond demeure la même : un dieu égyptien cherche a échapper d'une façon ou d'une autre a un emprisonnement insoutenable sur des millénaires, ce qu'on peut considérer comme une forme de mort lente, en laissant quelque chose derrière lui. Une démarche toute humaine pour laquelle il va avoir besoin d'un homme ordinaire n'ayant subi ni modification ni mutation, choses fréquentes à la fin du XXIe siècle, ainsi que d'une mutante à la peau blanche et aux cheveux bleus. Une symbolique d'autant plus forte qu'au milieu d'un Paris halluciné, corrompu et gangrené, le personnage principal apparaît dans sa représentation la plus archaïque.



Horus

Horus, dieu du soleil et premier pharaon de l'Egypte antique, est en effet un colosse mâle (souvent nu dans le film) dont la tête est celle d'un faucon. Connu pour ses incessantes batailles avec son frère maléfique Seth, il est représenté de plusieurs façons (couronné de rayons solaires, coiffé de la double couronne des deux Égypte, ou portant l'ankh de vie) mais généralement de façon assez similaire à celle du film. La liberté littéraire d'Enki Bilal lui laisse d'ailleurs toute latitude pour s'incarner plus ou moins longtemps dans un corps, tirer des lasers avec les yeux, communiquer par télépathie ou se transformer en faucon. On le devine sûr de lui, égoïste, pragmatique, charismatique, cynique, mais également capable d'affection... divin, en un mot.
Horus n'est d'ailleurs pas le seul représentant de son panthéon présent dans le film. On rencontre Anubis (dieu des morts à tête de chacal), Bastet (déesse à tête de chatte protectrice de Basse-Égypte)... auxquels on peut ajouter Thot (dieu de la connaissance à tête d'ibis), Sobek (dieu du Nil à tête de crocodile), Bès (dieu protecteur des enfants à l'aspect simiesque) si on jette un coup d’œil à la bande-dessinée. Ces dieux sont tous nus ou presque, divins, mais innocemment curieux des divertissements humains tel que le Monopoly.



Bastet
Simples personnages secondaires (Anubis excepté), ils contribuent néanmoins à alimenter une question récurrente : dieux ou extraterrestres ? Aucune des deux hypothèses n'est favorisée par l'auteur. 
Mis à part le fait qu'ils partagent les caractéristiques physiques et morales globales d'Horus, aucun d'entre eux ne fait jamais mine d'user de pouvoirs s'apparentant à ceux décrits dans les mythes égyptiens ou même de s'ingérer dans les affaires des mortels : à peine leur fuyard rattrapé, ils retournent dans l'espace pour un voyage inconnu. 
Ironiquement, cela montre que nous avons affaire à une ficelle classique du mythe greco-romain : les dieux interviennent dans la vie des simples mortels et repartent aussi vite qu'ils sont apparus, non sans avoir transformé quelqu'un au passage (et en avoir mis un autre en cloque).

Que rajouter à cette chronique ? Dresser un portrait de tout le panthéon égyptien serait passablement compliqué tant les querelles, généalogies et amours de chaque dieu peuvent trouver leur équivalent de notre côté de la Méditerranée. Vous parler de l'adaptation vidéoludique éditée en 2008 par le studio White Birds Productions, un jeu d'action à énigmes multiples, pourrait être intéressant mais la vérité est que je n'y ai pas suffisamment joué pour vous en faire un portrait objectif.


 
Non, en vérité je vous le dit, il ne me reste plus qu'à vous suggérer de vous intéresser à l'oeuvre globale d'Enki Bilal : peintre, dessinateur et cinéaste prolifique, il n'a de cesse de déployer devant nos yeux des uchronies toutes plus sordides les unes que les autres où se côtoient fantômes de Sarajevo, dieux égyptiens d'outre-espace et dauphins polymorphes. On s'y perd, on y rêve et on en ressort le regard habité d'une étrange lueur.
Nul doute que vous y trouverez votre Carthage.

Félix

jeudi 4 décembre 2014

Kriss de Valnor, Tome 5

Ce pauvre bougre avait renié ses dieux un peu rapidement, vous ne trouvez pas ?
- Dame Gwenda

Bonjour ! Cela fait maintenant plusieurs semaines que les Chroniques des Panthéons sont en route et pourtant aucun article du chef de projet n’a encore été publié, ce qui, avouons-le, est relativement honteux.
Ce sera désormais chose faite et pour ma première chronique, nous parlerons de Kriss de Valnor Tome 5 - Rouge comme le Raheborg sortie le 14 novembre dernier aux éditions Le Lombard.
                             
Kriss de Valnor, Tome 5, Couverture de G. Rosinski.




Synopsis :
Kriss de Valnor est désormais la reine des Vikings du Nord et la femme du jeune Roi Jolan, le fils de Thorgal. Les mariés doivent cependant se préparer à affronter l’Empereur Magnus qui veut imposer à tous les peuples du Nord sa croyance en un dieu unique, Yahvus. La bataille entre les deux armées aura lieu aux abords du Raheborg









Les plus :
- Kriss de Valnor, anti-héroïne toujours aussi fidèle à elle-même.
- Une intrigue intéressante, sur fond de guerre de religions.
- De belles illustrations…

Les moins :
- …qui manquent cruellement de personnalité.
- Une impression de déjà-vu : Game of Thrones s’invite même chez Thorgal.

L’idée des Mondes de Thorgal, comprenant les séries Kriss de Valnor et Louve, était d’exploiter l’univers de Thorgal pour en faire un univers partagé où se dérouleraient de multiples intrigues parallèles. Cet objectif est plutôt atteint. Outre les vikings, on retrouve des éléments important de la série-mère comme la présence bien réelle des dieux nordiques (la déesse Freyja jouant un rôle prédominant dans Kriss de Valnor). Le récit est parsemé d'interconnexions entre les séries mais heureusement, il n'est pas utile d'avoir lu la série mère, par exemple, pour comprendre l'histoire.



Freya, Reine des Walkyries, déesse de la beauté, de l'amour
et de la sexualité. La déesse reçoit dans son palais la moitié 
des guerriers morts au combat (l’autre moitié est reçue au 
Valhalla par Odin, Roi des dieux). Morts pour protéger 
leur famille ou leur clan, Freyja les mènera au combat lors du 
Ragnarök, l’Apocalypse Viking. 


Les premiers tomes de la série racontaient les origines de Kriss de Valnor, sa résurrection par Freyja, déesse-reine des Walkyries, puis son accession au pouvoir. Ici, l’intrigue est centrée sur l’action. De la première page quasi-apocalyptique à la dernière, le récit ne ralentit jamais. On retrouve notre anti-héroïne, toujours aussi indépendante, intéressée et sans pitié, fidèle à elle-même malgré l’épée de Damoclès qui la menace à chaque instant : la pointe de la flèche qui l'a tuée une première fois lui transpercera le cœur au premier acte immoral, la renvoyant au royaume des morts.





Le principal défaut de ce tome 5 est la forte impression de déjà-vu qu’il dégage. Les origines de Kriss n'étaient certes pas très originales (enfance difficile, viol, meurtre...) mais le traitement des personnages et le cadre de l'histoire, sur fond de mythologie nordique, permettait de passer un bon moment, en proposant même une réflexion sur la vengeance. Sauf que voilà, entre les tomes 1 et 5, la série TV Games of Thrones est passée par là. Alliances, trahisons, sexe, prêtresse psychotique (c'est la Dame Gwenda de la citation) : on retrouve des ressorts utilisés maintes fois, et avec plus de réussite, dans la série.

Niveau dessin, je suis aussi un peu déçu. Ils manquent de personnalité, surtout en comparaison avec la couverture qui est dessinée par G. Rosinski, co-créateur et dessinateur sur la série Thorgal. Pourtant, les premiers tomes de Kriss de Valnor restaient assez fidèles à la série-mère : des personnages aux physiques disgracieux, des combats violents provoquant des blessures atroces, une atmosphère parfois poisseuse… Ici, les décors sont spectaculaires, les combats sont fluides, mais les personnages, Kriss la première, sont trop beaux, trop lisses. 

Morning of the battle of Agincourt, 25th october 1415
(par Sir John Gilbert)

Je dirais donc que ce tome est en dessous des précédents Kriss de Valnor, et moins réussi que la série Thorgal. La raison est peut-être décelable dès la page de titre, où l’on apprend que l’album a été réalisé librement par le dessinateur, De Vita, sur la base du scénario d’Yves Sente. On ne s’improvise pas scénariste… Cependant, si on considère qu'il s'agit d'un "épisode de mi-saison", avec une bataille réorientant l'histoire, la lecture en devient plaisante.






Ma chronique ne répond toujours pas à une question : mais c’est quoi ce Raheborg ? C’est le nom du fleuve où se déroule la bataille. Il n’est pas rouge au début du tome...

Quentin

Pour les étudiants de l'IUT Quai Frissard, cet ouvrage est en prêt au Centre de Doc' !