Ah donc, il semblerait que ce soit mon
tour de prendre la plume sur ce blog encore à peine sorti de l’œuf.
Titre : Immortel (ad vitam)
Réalisateur : Enki Bilal
Année de production : 2004
Acteurs principaux : Linda Hardy,
Thomas Kretschmann, Charlotte Rampling
Durée : 102 mn
Synopsis : Dans un Paris
totalitaire de 2095, un vaisseau extraterrestre en forme de pyramide
égyptienne s'est posé. A son bord, des créatures ressemblant
étrangement aux représentations que nous avons des dieux égyptiens
antiques. L'un d'entre eux, Horus, a fui ses frères pour échapper à un emprisonnement plurimillénaire auquel il était condamné.
Désespéré, il décide d'assurer sa pérennité de la même façon
que les terriens : en ayant une descendance. Encore faut-il
trouver la femme idéale pour cela, et surtout un corps où il puisse
s'incarner pour échapper le plus longtemps possible à son frère
Anubis. C'est alors qu'il croise la route de Nikopol, un anarchiste
placé en détention cryogénique durant 30 ans et libéré par
accident, ainsi qu'une mutante extraordinaire nommée Jill qui lui permettront de réaliser ses desseins.
Anubis |
La première chose que l'on peut dire
de cette œuvre est qu'il s'agit d'une adaptation de ce que l'on appelle
la « trilogie Nikopol » d'Enki Bilal (comprenant « La
foire aux immortels » paru en 1980, « La femme piège »
en 1986 et « Froid Equateur » en 1993). Si l'histoire
change sensiblement (l'univers est beaucoup plus détaillé, le passé
et le développement de Nikopol ainsi que de Jill sont nettement plus
prononcés), la trame de fond demeure la même : un dieu
égyptien cherche a échapper d'une façon ou d'une autre a un
emprisonnement insoutenable sur des millénaires, ce qu'on peut
considérer comme une forme de mort lente, en laissant quelque chose
derrière lui. Une démarche toute humaine pour laquelle il va avoir
besoin d'un homme ordinaire n'ayant subi ni modification ni mutation, choses fréquentes à la fin du XXIe siècle, ainsi que
d'une mutante à la peau blanche et aux cheveux bleus. Une symbolique
d'autant plus forte qu'au milieu d'un Paris halluciné, corrompu et
gangrené, le personnage principal apparaît dans sa représentation
la plus archaïque.
Horus, dieu du soleil et premier
pharaon de l'Egypte antique, est en effet un colosse mâle (souvent nu dans le film) dont la tête est celle d'un faucon. Connu
pour ses incessantes batailles avec son frère maléfique Seth, il
est représenté de plusieurs façons (couronné de rayons solaires,
coiffé de la double couronne des deux Égypte, ou portant l'ankh de
vie) mais généralement de façon assez similaire à celle du film.
La liberté littéraire d'Enki Bilal lui laisse d'ailleurs toute
latitude pour s'incarner plus ou moins longtemps dans un corps, tirer
des lasers avec les yeux, communiquer par télépathie ou se
transformer en faucon. On le devine sûr de lui, égoïste,
pragmatique, charismatique, cynique, mais également capable
d'affection... divin, en un mot.
Horus n'est d'ailleurs pas le seul
représentant de son panthéon présent dans le film. On rencontre
Anubis (dieu des morts à tête de chacal), Bastet (déesse à tête
de chatte protectrice de Basse-Égypte)... auxquels on peut ajouter
Thot (dieu de la connaissance à tête d'ibis), Sobek (dieu du Nil à
tête de crocodile), Bès (dieu protecteur des enfants à l'aspect
simiesque) si on jette un coup d’œil à la bande-dessinée. Ces dieux sont tous
nus ou presque, divins, mais innocemment curieux des
divertissements humains tel que le Monopoly.
Bastet |
Simples
personnages secondaires (Anubis excepté), ils contribuent néanmoins
à alimenter une question récurrente : dieux ou
extraterrestres ? Aucune des deux hypothèses n'est favorisée par l'auteur.
Mis à part le fait qu'ils partagent les
caractéristiques physiques et morales globales d'Horus, aucun
d'entre eux ne fait jamais mine d'user de pouvoirs s'apparentant à
ceux décrits dans les mythes égyptiens ou même de s'ingérer dans
les affaires des mortels : à peine leur fuyard rattrapé, ils
retournent dans l'espace pour un voyage inconnu.
Ironiquement, cela montre que nous
avons affaire à une ficelle classique du mythe greco-romain :
les dieux interviennent dans la vie des simples mortels et repartent
aussi vite qu'ils sont apparus, non sans avoir transformé quelqu'un
au passage (et en avoir mis un autre en cloque).
Que rajouter à cette chronique ?
Dresser un portrait de tout le panthéon égyptien serait
passablement compliqué tant les querelles, généalogies et amours
de chaque dieu peuvent trouver leur équivalent de notre côté de la
Méditerranée. Vous parler de l'adaptation vidéoludique éditée en
2008 par le studio White Birds Productions, un jeu d'action à
énigmes multiples, pourrait être intéressant mais la vérité est
que je n'y ai pas suffisamment joué pour vous en faire un portrait
objectif.
Non, en vérité je vous le dit, il ne
me reste plus qu'à vous suggérer de vous intéresser à l'oeuvre
globale d'Enki Bilal : peintre, dessinateur et cinéaste
prolifique, il n'a de cesse de déployer devant nos yeux des
uchronies toutes plus sordides les unes que les autres où se
côtoient fantômes de Sarajevo, dieux égyptiens d'outre-espace et
dauphins polymorphes. On s'y perd, on y rêve et on en ressort le
regard habité d'une étrange lueur.
Nul doute que vous y trouverez votre
Carthage.
Félix
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