jeudi 19 février 2015

American Gods (2001) - Neil Gaiman

Résumé :
États-Unis, années 1990. Ombre est ce que l'on pourrait appeler « un poissard de première » : orphelin, il était néanmoins parvenu à s'aménager une petite vie tranquille avec sa femme Laura ainsi que son associé et ami... jusqu'à ce qu'il passe trois ans en prison pour une erreur stupide. A son retour, il apprend que non seulement ceux-ci sont morts dans le même accident de voiture, mais qu'en sus ils avaient une aventure.
Au fond du trou, sans emploi, ami, ni famille, il va croiser la route d'un vieil homme répondant au nom de Voyageur qui va l'embaucher en tant que garde du corps et surtout l'embarquer pour un voyage dans les tréfonds de l'Amérique. Une épopée épique qui va les amener à rencontrer toutes les composantes de la spiritualité outre-Atlantique aussi bien passée que présente, et surtout à participer à la plus grande bataille divine que le monde ait connu. Oui, rien que ça.
Vous me permettrez de passer outre toutes les circonvolutions de l'intrigue, mais attendez-vous néanmoins à de nombreux rebondissements et à une conclusion aussi épique qu'une saga nordique.

Critique : 
Neil Gaiman, Avril 2013
L’œuvre de Neil Gaiman, primée à quatre reprises en 2002 (Prix Hugo, Prix Nebula, Prix Locus, Bram Stocker Award) peut se lire à deux niveaux. D'une part, elle peut être considérée comme un roman picaresque, voire une version littéraire d'un « road movie » : le lecteur suit les pérégrinations de deux personnages qui traversent les États-Unis, rencontrent des protagonistes hauts en couleurs tout en apprenant à se connaître et en évoluant en tant qu'individus.

D'autre part, nous avons le cœur de ce qui constitue le cœur de l'intrigue, à savoir la plongée dans les croyances américaines ainsi que leur confrontation.
En effet, le postulat de ce roman est que si les dieux ont commencé à exister à partir du moment où un individu a commencé à croire en eux, il n'y a aucune raison de penser qu'ils ont cessé de le faire au moment où d'autres croyances ont commencé à les supplanter. Tout aussi important, il établit que lors des vagues de colonisation et d'immigration successives en Amérique du Nord, les dieux (ou leurs équivalents) ont été forcés de suivre leur fidèles sur cette terre étrangère où ils ont progressivement perdus leur force à force que la foi dont ils se nourrissaient s'étiolait. Pas au point de les faire disparaître, parce que cela impliquerait que le monde aurait perdu jusqu'au souvenir de leur existence, mais les forçant à adopter une forme physique en permanence et les dotant de besoins physiologiques comme la faim.
Ainsi, Ombre croisera un leprechaun (espèce de lutin roux d'origine irlandaise) à taille humaine et S.D.F, le dieu slave Czernobog qui est employé dans un abattoir, Compé Anansi (dieu important du folklore d'Afrique de l'Ouest et des Caraïbes), Wisakedjak (divinité tutélaire amérindienne) qui travaille au mont Rushmore... la liste est longue et il serait vraiment trop long d'en faire un bilan exhaustif ici, d'autant plus que nous nous rendons vite compte que la croyance moderne s'est cristallisée dans des supports à la fois originaux et prévisibles. Les antiques sont ainsi confrontés aux dieux de l'internet, des autoroutes, de l'argent, d'Hollywood, voire du Monde dans une guerre froide qui ne va pas tarder à se réchauffer.

Une autre richesse de American Gods réside dans la façon très réaliste dont est écrite l'intrigue. Si le fantastique est par définition présent, on n'assistera à proprement parler à aucun miracle ou acte magique important... et si cela advient, on nous présentera toujours cela sous l'angle de l'hallucination possible : a-t-on vraiment vu tel personnage se transformer ? Ombre a-t-il rêvé tout cela ? Certains passages peuvent être extrêmement crus (on compte au moins deux scènes de sexe et une de mise à mort sanglante), mais n'est-ce pas le propre des récits mettant en scène des dieux depuis l'Antiquité ? Bref, nous pouvons dire qu'il s'agit du principe de la tragédie grecque remise au goût du jour, le côté épique étant apposé par petites touches jusqu'au dénouement.

Représentation du dieu Thôt
A titre d'exemple, voir messieurs Iblis (qui ne cache pas le fait qu'il soit Thôt, le dieu égyptien à tête d'ibis de la connaissance) et Chaquel (interprétation d'Anubis, dieu égyptien des embaumements à tête de chacal) tenir avec le plus grand sérieux une petite entreprise de pompes funèbres dans la petite ville d'Alexandria a quelque chose... comment dire ? D'à la fois ironique et triste, puisque symbolique d'une époque où tout change mais où des valeurs et des croyances fondamentales demeurent. Non pas perverties, mais influencées par le passage des ans et le melting-pot des cultures américaines qui ont déferlé par vagues sur ce continent.

Le choix de Neil Gaiman de ne pas vraiment s'attarder sur la mythologie attachée à tel ou tel personnage semble être l'écho de ce constat : les dieux ont été interprétés physiquement et spirituellement de multiples façons, et c'est généralement au lecteur de déterminer qui est qui via les indices qu'il récolte puis de se renseigner par lui-même pour comprendre son tempérament... ou de ne pas le faire et de se laisser porter par le récit, ce qui est tout aussi pertinent.

Au final, que rajouter à tout cela sinon que je vous conseille vivement la lecture de cet ouvrage dont la narration fluide et les multiples références aussi bien spirituelles qu'artistiques susciteront je le pense un écho chez vous. Le tout est de ne pas se laisser impressionner par l'épaisseur du livre.
Nul doute que vous y trouverez votre Carthage.

Félix

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