Résumé :
États-Unis, années 1990. Ombre est ce que l'on pourrait appeler « un poissard de première » : orphelin, il était néanmoins parvenu à s'aménager une petite vie tranquille avec sa femme Laura ainsi que son associé et ami... jusqu'à ce qu'il passe trois ans en prison pour une erreur stupide. A son retour, il apprend que non seulement ceux-ci sont morts dans le même accident de voiture, mais qu'en sus ils avaient une aventure.
États-Unis, années 1990. Ombre est ce que l'on pourrait appeler « un poissard de première » : orphelin, il était néanmoins parvenu à s'aménager une petite vie tranquille avec sa femme Laura ainsi que son associé et ami... jusqu'à ce qu'il passe trois ans en prison pour une erreur stupide. A son retour, il apprend que non seulement ceux-ci sont morts dans le même accident de voiture, mais qu'en sus ils avaient une aventure.
Au fond du trou, sans emploi, ami, ni
famille, il va croiser la route d'un vieil homme répondant au nom de
Voyageur qui va l'embaucher en tant que garde du corps et surtout
l'embarquer pour un voyage dans les tréfonds de l'Amérique. Une
épopée épique qui va les amener à rencontrer toutes les
composantes de la spiritualité outre-Atlantique aussi bien passée
que présente, et surtout à participer à la plus grande bataille
divine que le monde ait connu. Oui, rien que ça.
Vous me permettrez de passer outre
toutes les circonvolutions de l'intrigue, mais attendez-vous
néanmoins à de nombreux rebondissements et à une conclusion aussi
épique qu'une saga nordique.
Critique :
L’œuvre de Neil Gaiman, primée à
quatre reprises en 2002 (Prix Hugo, Prix Nebula, Prix Locus, Bram
Stocker Award) peut se lire à deux niveaux. D'une part, elle peut
être considérée comme un roman picaresque, voire une version
littéraire d'un « road movie » : le lecteur suit
les pérégrinations de deux personnages qui traversent les
États-Unis, rencontrent des protagonistes hauts en couleurs tout en
apprenant à se connaître et en évoluant en tant qu'individus.
Neil Gaiman, Avril 2013 |
D'autre part, nous avons le cœur de ce
qui constitue le cœur de l'intrigue, à savoir la plongée dans les
croyances américaines ainsi que leur confrontation.
En effet, le postulat de ce roman est
que si les dieux ont commencé à exister à partir du moment où un
individu a commencé à croire en eux, il n'y a aucune raison de
penser qu'ils ont cessé de le faire au moment où d'autres croyances
ont commencé à les supplanter. Tout aussi important, il établit
que lors des vagues de colonisation et d'immigration successives en
Amérique du Nord, les dieux (ou leurs équivalents) ont été forcés
de suivre leur fidèles sur cette terre étrangère où ils ont
progressivement perdus leur force à force que la foi dont ils se
nourrissaient s'étiolait. Pas au point de les faire disparaître,
parce que cela impliquerait que le monde aurait perdu jusqu'au
souvenir de leur existence, mais les forçant à adopter une forme
physique en permanence et les dotant de besoins physiologiques comme
la faim.
Ainsi, Ombre croisera un leprechaun
(espèce de lutin roux d'origine irlandaise) à taille humaine et
S.D.F, le dieu slave Czernobog qui est employé dans un abattoir,
Compé Anansi (dieu important du folklore d'Afrique de l'Ouest et des
Caraïbes), Wisakedjak (divinité tutélaire amérindienne) qui
travaille au mont Rushmore... la liste est longue et il serait
vraiment trop long d'en faire un bilan exhaustif ici, d'autant plus
que nous nous rendons vite compte que la croyance moderne s'est
cristallisée dans des supports à la fois originaux et prévisibles.
Les antiques sont ainsi confrontés aux dieux de l'internet, des
autoroutes, de l'argent, d'Hollywood, voire du Monde dans une guerre
froide qui ne va pas tarder à se réchauffer.
Une autre richesse de American Gods
réside dans la façon très réaliste dont est écrite l'intrigue.
Si le fantastique est par définition présent, on n'assistera à
proprement parler à aucun miracle ou acte magique important... et si
cela advient, on nous présentera toujours cela sous l'angle de
l'hallucination possible : a-t-on vraiment vu tel personnage se
transformer ? Ombre a-t-il rêvé tout cela ? Certains
passages peuvent être extrêmement crus (on compte au moins deux
scènes de sexe et une de mise à mort sanglante), mais n'est-ce pas
le propre des récits mettant en scène des dieux depuis
l'Antiquité ? Bref, nous pouvons dire qu'il s'agit du principe
de la tragédie grecque remise au goût du jour, le côté épique
étant apposé par petites touches jusqu'au dénouement.
Représentation du dieu Thôt |
Le choix de Neil Gaiman de ne pas
vraiment s'attarder sur la mythologie attachée à tel ou tel
personnage semble être l'écho de ce constat : les dieux ont
été interprétés physiquement et spirituellement de multiples
façons, et c'est généralement au lecteur de déterminer qui est
qui via les indices qu'il récolte puis de se renseigner par lui-même
pour comprendre son tempérament... ou de ne pas le faire et de se
laisser porter par le récit, ce qui est tout aussi pertinent.
Au final, que rajouter à tout cela
sinon que je vous conseille vivement la lecture de cet ouvrage dont
la narration fluide et les multiples références aussi bien
spirituelles qu'artistiques susciteront je le pense un écho chez
vous. Le tout est de ne pas se laisser impressionner par l'épaisseur
du livre.
Nul doute que vous y trouverez votre
Carthage.
Félix
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