Edition : j’ai lu.
Collection : Fantasy.
Eh bien, encore un Bordage
me direz-vous ? Oui en effet, mais pourquoi devraient-on se priver des
bonnes choses, après tout ? Car le cycle de l’Enjomineur est de mon avis
personnel une des grandes réussites de l’auteur. Composé de trois volumes
titrés 1792, 1793, 1794, cette trilogie nous immerge vous l’aurez deviné en
pleine Révolution Française. Plus précisément en fait durant la guerre civile
meurtrière qui secoua le pays.
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Insurrection royaliste en Vendée réprimée par l'armée
républicaine. |
Resituons d’abords l’histoire de cette époque
riche en événements : en pleine terreur après l’exécution de Louis XVI, la
levée de 300000 hommes pour aller combattre sur les différents fronts européens
contre les grandes monarchies coalisées déclenche une série d’insurrections
dans les provinces, dont la plus tristement célèbre est celle de
Vendée. En
effet (pour faire simple), une partie de la France des campagnes de cette
période est encore attachée à la tradition monarchique et à la religion. Les
mouvements sans-culottes qui voient le jour à Paris dans le chaos, en rupture
totale avec la noblesse et le clergé, sont loin de faire l’unanimité au plus
profond de certaines contrées où l’on est attaché avant tout à la stabilité
d’un système, tant soit-il des plus injuste. Ainsi se forme la grande armée
catholique et avec elle le déclenchement de la guerre de Vendée.
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Les civils sont toujours les premières victimes
(scène de noyade collective). |
L’armée républicaine chargée
de mater la révolte écumera ces territoires en proie aux flammes. Et comme pour
toute guerre, des atrocités seront commises aux noms des idéaux transformés en
dogmes et des frontières que s’érigent les hommes entre eux. C’est en partie
dans ce cadre que l’aventure prendra place, ainsi que dans la capitale livrée à
la
Terreur et aux dénonciations. On suit alors deux personnages que tout
oppose.
D’un
côté
Emile, qui représente sans contexte la figure du
héros chère à Pierre
Bordage. Celui-ci est un orphelin trouvé dans le bocage vendéen et élevé par un
prêtre progressiste aux idées proches des Lumières, ce qui donnera à Emile une
ouverture d’esprit, un sens critique aiguisé du monde qui l’entoure et une
volonté de ne pas prendre position dans un camp ou l’autre. Celui-ci se
contente de travaux de champs pour subvenir à ses besoins et tombe amoureux de
Perette, fille d’une
guérisseuse. Ces deux-là seront séparés par la guerre mais
évidemment amenés à se retrouver au fil du récit.
De l’autre côté, nous avons
Cornuaud (qui mérite amplement son dénominatif, référence aux cornes du
diable). Cornuaud est un truand qui, pour échapper à quelque règlement de compte, s’est retrouvé embarqué sur les navires négriers chargé du transport
d’esclaves. A la suite d’un viol qu’il commet sur une très jeune fille, le
voici maudit par une sorcière vaudou qui s’incarne dans un coin de son âme.
Celle-ci, par vengeance, le forcera au cours de crises horribles à tuer des
blancs (ce qui ne manquera pas de le mettre dans des situations difficiles).
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Mélusine |
Au-delà du
cadre historique
fidèlement rapporté par l’écrivain (celui-ci est originaire de Vendée et s’est
énormément documenté sur son sujet), il y a la présence d’une dimension magique
et fantastique forte, symbolisant l’éternel lutte du bien contre le mal. Remarquons
en premier la présence de
la fée Mélusine qui offrira une dague très spéciale à
Emile puisqu’elle lui permettra de combattre le mal (ainsi dans un autre
registre, à la manière de l’épée elfique d’un certain Frodon Sacquet elle lui
indiquera, non par sa luminescence mais par sa chaleur, la présence des ennemis
de l’humanité).
Mélusine, ses
sirènes, le
cheval malet (cheval fabuleux tentant
les voyageurs fatigués) et la présence de
farfadets sont autant de référence
aux légendes de ces régions existant depuis le Moyen-Age et même bien avant.
Aussi la présence de certains personnages comme des guérisseurs sont-ils des
symboles de la conception qu’avaient les hommes de la nature et de ses mystères
à une époque où la rationalité aussi bien que le dogme religieux ne dominait
pas encore fatalement. Ainsi, il y a toujours cette
opposition entre la
foi
fanatique et une
spiritualité libre et mystique. Mais aussi entre ces anciennes
traditions païennes et le
rationalisme exacerbé de la révolution qui veut tout
en effacer.
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Culte de Mithra, Sacrifice |
Pour les grands méchants de
l’histoire, Bordage revient à des valeurs sûres, en l’existence d’une
secte au
culte sombre et mortifère (le personnage de Cornuaud est plus complexe qu’il
n’y parait, il est à différencier de la secte). Celle-ci agit dans l’ombre de
la révolution afin d’obtenir le
pouvoir. Assassinat, corruption et terreur sont
ses outils (la période révolutionnaire en est le terreau fertile), sa
propagande puise dans le très ancien
culte de Mithra,
qui
fut au départ divinité indo-aryenne vers 1380 avant notre ère en Asie mineur et
Mésopotamie. Mithra, avant de devenir pur instrument de pouvoir corrompu par la
faiblesse des hommes (quelle religion n’a pas tendance à l’être), est à ses
débuts un dieu bienveillant qui protège la
justice et veille à l’
ordre du
monde. Lié à la
lumière, il est aussi bien le garant des
troupeaux que de ceux
qui défendent leurs territoires, les
guerriers. Chez les perses au VIe siècle
avant notre ère, Mithra est vénéré officiellement comme divinité tutélaire du
souverain. A la suite des conquêtes d’Alexandre et de la chute de l’empire
perse, d’autres royaumes comme ceux d’Arménie ou du Pont pratiqueront ce culte.
Vers le premier siècle avant J.C., ce dieu s’hellénise à la suite de mélanges
avec la
mythologie gréco-romaine. Le culte de Mithra en passant de l’Orient à
l’Occident est devenu un culte à mystères, dans le sens où le futur adepte
subit une
initiation au cours de nombreuses cérémonies. Les initiés
participaient aussi à d’autres rites et à des banquets rituels ou bien des
sacrifices de taureaux (le baptême de sang y était très fréquent). Différents
échelons d’importance étaient accessibles, nous les retrouvons d’ailleurs dans
les romans. Ceux-ci représentaient le chemin parcouru par l’âme.
·
Du sous-fifre au Big Boss :
Grades |
Planète tutélaire |
Signification symbolique, attributs |
Corax, Corbeau |
Mercure
|
messager
caducée (attribut du dieu messager Mercure), gobelet |
Nymphus, fiancé, épousé |
Vénus |
alliance
lampe, torche nuptiale, diadème |
Miles, soldat |
Mars |
l'adepte est combattant,
soldat de Mithra
casque, pilum, sac |
Leo, Lion |
Jupiter |
feu céleste, force
purificatrice
pelle à feu, sistre, foudre (attribut de Jupiter) |
Perses, Perse |
Lune |
fécondité, gardien des
fruits
faucille, croissant de lune |
Héliodromus, Messager du soleil |
Soleil |
courrier du soleil
couronne radiée, flambeau, fouet du soleil |
Pater, père |
Saturne |
commandement, autorité
bonnet phrygien de Mithra, serpe de Saturne, baguette du commandement |
Les historiens pensent que
c’est au cours des conquêtes romaines que cette religion a pris une place
importante auprès des légionnaires. Les frontières de la cosmogonie gréco-latine
étaient poreuses et nombreux furent les mélanges de religions dans l’antiquité.
|
Culte de Mithra, Symboles |
Les prêtresses de ce culte
dans le roman possèdent deux serpents aux venins mortels. On peut sûrement y
voir une référence à la religion minoenne. Il faut bien voir que dans les
romans, cette religion est travestie en secte complotistes par leurs nouveaux
maitres, néanmoins la filiation est bien faite avec d’anciens légionnaires
romains qui ont perpétrés le culte, le dénaturant (ou pas, selon la conception
quand on les légionnaires, il peut s’agir d’un culte guerrier) au cours des
siècles pour arriver jusqu’à la révolution française, ou caché dans les
catacombes elle resurgit, incarné par le mal.
J’espère que cette lecture
vous aura donné envie d’en savoir plus ou de lire le cycle de l’Enjomineur,
fantastique aventure en pleine révolution française. Les batailles y sont
nombreuses, l’intrigue haletante quoique l’affrontement entre Emile et Cornuaud
se fait un peu attendre. L'action est parfois assez violente (pour ceux que ça
rebute).
Et je vous dis, à la
prochaine pour d’autres évasions.
Vincent
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