vendredi 2 janvier 2015

Le cycle de l'Enjomineur, Pierre Bordage

Edition : j’ai lu.
Collection : Fantasy.

Eh bien, encore un Bordage me direz-vous ? Oui en effet, mais pourquoi devraient-on se priver des bonnes choses, après tout ? Car le cycle de l’Enjomineur est de mon avis personnel une des grandes réussites de l’auteur. Composé de trois volumes titrés 1792, 1793, 1794, cette trilogie nous immerge vous l’aurez deviné en pleine Révolution Française. Plus précisément en fait durant la guerre civile meurtrière qui secoua le pays. 

Insurrection royaliste en Vendée réprimée par l'armée
républicaine.
Resituons d’abords l’histoire de cette époque riche en événements : en pleine terreur après l’exécution de Louis XVI, la levée de 300000 hommes pour aller combattre sur les différents fronts européens contre les grandes monarchies coalisées déclenche une série d’insurrections dans les provinces, dont la plus tristement célèbre est celle de Vendée. En effet (pour faire simple), une partie de la France des campagnes de cette période est encore attachée à la tradition monarchique et à la religion. Les mouvements sans-culottes qui voient le jour à Paris dans le chaos, en rupture totale avec la noblesse et le clergé, sont loin de faire l’unanimité au plus profond de certaines contrées où l’on est attaché avant tout à la stabilité d’un système, tant soit-il des plus injuste. Ainsi se forme la grande armée catholique et avec elle le déclenchement de la guerre de Vendée.
Les civils sont toujours les premières victimes
(scène de noyade collective).
L’armée républicaine chargée de mater la révolte écumera ces territoires en proie aux flammes. Et comme pour toute guerre, des atrocités seront commises aux noms des idéaux transformés en dogmes et des frontières que s’érigent les hommes entre eux. C’est en partie dans ce cadre que l’aventure prendra place, ainsi que dans la capitale livrée à la Terreur et aux dénonciations. On suit alors deux personnages que tout oppose.

D’un côté Emile, qui représente sans contexte la figure du héros chère à Pierre Bordage. Celui-ci est un orphelin trouvé dans le bocage vendéen et élevé par un prêtre progressiste aux idées proches des Lumières, ce qui donnera à Emile une ouverture d’esprit, un sens critique aiguisé du monde qui l’entoure et une volonté de ne pas prendre position dans un camp ou l’autre. Celui-ci se contente de travaux de champs pour subvenir à ses besoins et tombe amoureux de Perette, fille d’une guérisseuse. Ces deux-là seront séparés par la guerre mais évidemment amenés à se retrouver au fil du récit.
De l’autre côté, nous avons Cornuaud (qui mérite amplement son dénominatif, référence aux cornes du diable). Cornuaud est un truand qui, pour échapper à quelque règlement de compte, s’est retrouvé embarqué sur les navires négriers chargé du transport d’esclaves. A la suite d’un viol qu’il commet sur une très jeune fille, le voici maudit par une sorcière vaudou qui s’incarne dans un coin de son âme. Celle-ci, par vengeance, le forcera au cours de crises horribles à tuer des blancs (ce qui ne manquera pas de le mettre dans des situations difficiles).

Mélusine
Au-delà du cadre historique fidèlement rapporté par l’écrivain (celui-ci est originaire de Vendée et s’est énormément documenté sur son sujet), il y a la présence d’une dimension magique et fantastique forte, symbolisant l’éternel lutte du bien contre le mal. Remarquons en premier la présence de la fée Mélusine qui offrira une dague très spéciale à Emile puisqu’elle lui permettra de combattre le mal (ainsi dans un autre registre, à la manière de l’épée elfique d’un certain Frodon Sacquet elle lui indiquera, non par sa luminescence mais par sa chaleur, la présence des ennemis de l’humanité). Mélusine, ses sirènes, le cheval malet (cheval fabuleux tentant les voyageurs fatigués) et la présence de farfadets sont autant de référence aux légendes de ces régions existant depuis le Moyen-Age et même bien avant. Aussi la présence de certains personnages comme des guérisseurs sont-ils des symboles de la conception qu’avaient les hommes de la nature et de ses mystères à une époque où la rationalité aussi bien que le dogme religieux ne dominait pas encore fatalement. Ainsi, il y a toujours cette opposition entre la foi fanatique et une spiritualité libre et mystique. Mais aussi entre ces anciennes traditions païennes et le rationalisme exacerbé de la révolution qui veut tout en effacer.

Culte de Mithra, Sacrifice
Pour les grands méchants de l’histoire, Bordage revient à des valeurs sûres, en l’existence d’une secte au culte sombre et mortifère (le personnage de Cornuaud est plus complexe qu’il n’y parait, il est à différencier de la secte). Celle-ci agit dans l’ombre de la révolution afin d’obtenir le pouvoir. Assassinat, corruption et terreur sont ses outils (la période révolutionnaire en est le terreau fertile), sa propagande puise dans le très ancien culte de Mithra, qui fut au départ divinité indo-aryenne vers 1380 avant notre ère en Asie mineur et Mésopotamie. Mithra, avant de devenir pur instrument de pouvoir corrompu par la faiblesse des hommes (quelle religion n’a pas tendance à l’être), est à ses débuts un dieu bienveillant qui protège la justice et veille à l’ordre du monde. Lié à la lumière, il est aussi bien le garant des troupeaux que de ceux qui défendent leurs territoires, les guerriers. Chez les perses au VIe siècle avant notre ère, Mithra est vénéré officiellement comme divinité tutélaire du souverain. A la suite des conquêtes d’Alexandre et de la chute de l’empire perse, d’autres royaumes comme ceux d’Arménie ou du Pont pratiqueront ce culte. Vers le premier siècle avant J.C., ce dieu s’hellénise à la suite de mélanges avec la mythologie gréco-romaine. Le culte de Mithra en passant de l’Orient à l’Occident est devenu un culte à mystères, dans le sens où le futur adepte subit une initiation au cours de nombreuses cérémonies. Les initiés participaient aussi à d’autres rites et à des banquets rituels ou bien des sacrifices de taureaux (le baptême de sang y était très fréquent). Différents échelons d’importance étaient accessibles, nous les retrouvons d’ailleurs dans les romans. Ceux-ci représentaient le chemin parcouru par l’âme.

·         Du sous-fifre au Big Boss :
Grades Planète tutélaire Signification symbolique, attributs
Corax, Corbeau
Mercure
messager
caducée (attribut du dieu messager Mercure), gobelet
Nymphus, fiancé, épousé Vénus
alliance
lampe, torche nuptiale, diadème
Miles, soldat Mars
l'adepte est combattant, soldat de Mithra
casque, pilum, sac
Leo, Lion Jupiter
feu céleste, force purificatrice
pelle à feu, sistre, foudre (attribut de Jupiter)
Perses, Perse Lune
fécondité, gardien des fruits
faucille, croissant de lune
Héliodromus, Messager du soleil Soleil
courrier du soleil
couronne radiée, flambeau, fouet du soleil
Pater, père Saturne
commandement, autorité
bonnet phrygien de Mithra, serpe de Saturne, baguette du commandement

Les historiens pensent que c’est au cours des conquêtes romaines que cette religion a pris une place importante auprès des légionnaires. Les frontières de la cosmogonie gréco-latine étaient poreuses et nombreux furent les mélanges de religions dans l’antiquité.

Culte de Mithra, Symboles
Les prêtresses de ce culte dans le roman possèdent deux serpents aux venins mortels. On peut sûrement y voir une référence à la religion minoenne. Il faut bien voir que dans les romans, cette religion est travestie en secte complotistes par leurs nouveaux maitres, néanmoins la filiation est bien faite avec d’anciens légionnaires romains qui ont perpétrés le culte, le dénaturant (ou pas, selon la conception quand on les légionnaires, il peut s’agir d’un culte guerrier) au cours des siècles pour arriver jusqu’à la révolution française, ou caché dans les catacombes elle resurgit, incarné par le mal.

J’espère que cette lecture vous aura donné envie d’en savoir plus ou de lire le cycle de l’Enjomineur, fantastique aventure en pleine révolution française. Les batailles y sont nombreuses, l’intrigue haletante quoique l’affrontement entre Emile et Cornuaud se fait un peu attendre. L'action est parfois assez violente (pour ceux que ça rebute).

Et je vous dis, à la prochaine pour d’autres évasions.

Vincent

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